Le hors-contrat à la Commission d’enquête parlementaire

À la demande de Violette Spillebout, co-rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur les violences scolaires dans l’école publique et privée, Anne Coffinier a remis, au nom de l’association Créer son école, une contribution écrite proposant des améliorations relatives à la protection des élèves des écoles privées indépendantes.

Il n’y a aucune raison que ces élèves ne bénéficient pas des mêmes droits à être protégés que les autres.


Contribution d’Anne Coffinier, présidente de Créer son école, pour la “Commission d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires publics et privés”.

N’ayant pu être auditionnée, et conformément à la demande que m’a faite Mme Spillebout (courriel du 16 mai) de remettre une contribution écrite, je vous prie de bien vouloir prendre connaissance des élément suivants.

Cette contribution concerne les établissements privés indépendants, parfois appelés établissements privés hors contrat, et présente un bref état des lieux et des perspectives d’amélioration pour mieux garantir la sécurité des enfants. Nous rappelons que, le contrat étant établi pour une ou des classes et non pour un établissement en tant que tel, notre contribution concerne aussi indirectement ce qu’il est convenu d’appeler les établissements privés sous contrat.

I. Prévention, au moment du recrutement des équipes

Depuis des années, l’association Créer son école demande avec insistance aux ministres successifs de l’Éducation nationale et de la Justice que les écoles privées indépendantes puissent bénéficier des dispositifs de prévention des dangers d’agression sexuelle, d’infractions violentes ou terroristes mis en place pour les écoles publiques ou privées sous contrat depuis une dizaine d’années, en particulier par la circulaire n° 2015-153 du 16 septembre 2015. Elle l’a encore redemandé dans son communiqué du 19 février dernier .

Nos demandes sont restées lettre morte et les directeurs d’école n’ont toujours pas, aujourd’hui, la possibilité de s’assurer que le personnel qu’ils recrutent ne présente pas des dangers pourtant déjà connus des services. C’est pourtant le cas pour tous les autres établissements de France. Les enfants scolarisés dans les écoles hors contrat sont-ils des citoyens de seconde zone qui n’auraient pas droit à la même sécurité que les autres ? Cette situation choquante ne nous semble pas pouvoir perdurer.

Nous demandons avec insistance que les élèves des écoles privées indépendantes bénéficient du même dispositif que ceux des écoles publiques ou privées : qu’un référent justice assermenté vérifie ainsi à la demande des directeurs que les personnes qu’ils s’apprêtent à embaucher comme salariés ou bénévoles ne figurent pas au fichier FIJAIS (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes) ou FJAIT (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infraction terroriste). (demande n°1)

L’application de ce dispositif permettrait ainsi d’écarter les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation ou d’une mise en examen pour meurtre ou assassinat envers les enfants, violence, barbarie, viol, agression sexuelle, traite des êtres humains, proxénétisme, prostitution, pédopornographie, mutilation sexuelle etc…

D’autres possibilités seraient envisageables, sur le modèle des procédures existantes pour les organisateurs des accueils collectifs de mineurs mais il faudrait les rendre obligatoires pour garantir un même niveau de protection des enfants d’une école à l’autre.

Ce dispositif prévoit, par le biais de la plateforme dédiée TAM (téléprocédure des accueils de mineurs), d’avoir accès à la base nationale des cadres interdits (cf. Vade Mecum accueil collectif de mineurs p18, SDJES de l’académie de Lille). Pour les accueils collectifs de mineurs, la vérification du personnel est, de surcroit, également assurée par les fonctionnaires de la SDJES.

La plateforme TAM pourrait être adaptée pour inclure aussi les interdictions d’exercer dans un établissement scolaire et permettre un accès réservé aux directeurs d’établissement sous condition de discrétion, via la plateforme numérique Onde ou Siecle. (demande n°2)

Il est en effet urgent que les dirigeants d’écoles indépendantes puissent s’assurer que le personnel qu’il emploie n’est pas “interdit d’exercer”. Rien ne leur permet aujourd’hui de le savoir : alors que l’article L 911-5 du Code de l’Education fait obligation à l’école de vérifier que son personnel n’a pas été “définitivement condamné par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux moeurs, y compris un crime ou un délit à caractère terroriste”, n’a pas été privé “par jugement de tout ou partie des droits civils, civiques et de famille mentionnés à l’article 131-26 du Code pénal” ou n’a pas été “déchu de l’autorité parentale”, n’a pas été “frappé d’interdiction d’exercer, à titre définitif, une fonction d’enseignement ou une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs”, ou n’a pas été “révoqué en application d’une sanction disciplinaire en raison de faits contraires à la probité et aux moeurs”, rien ne permet en effet aux dirigeants des écoles indépendantes d’obtenir ces informations autrement que par déclaration volontaire de la part du candidat ou de la candidate ou par consultation du bulletin n°3 (lequel ne comporte pas ces informations).

Nous demandons à ce que les dirigeants d’établissement privé indépendant puissent interroger une autorité dûment assermentée afin de disposer effectivement et en temps utiles des informations que la loi leur fait obligation de vérifier (art. L 911-5 du Code de l’éducation), que ce soit dans le domaine des crimes et délits sexuels ou de la prévention du terrorisme.

II. Signalement

Le signalement nous apparaît être le domaine sur lequel concentrer particulièrement nos efforts communs, plus encore que sur les contrôles.

Nous préconisons de créer un numéro d’urgence de signalement strictement réservé aux professionnels de l’enfance (demande n°3), qui serait destiné sans distinction au personnel d’établissements scolaires, périscolaires, accueil collectif de mineurs, de nature privée comme publique, en institutions collectives ou à domicile, pour public spécialisé (IME, ULIS) comme tout public…). Ce serait distinct du 119 et du 3018 et la déclaration faite serait consignée par écrit et transmise aussi à celui qui l’aurait effectuée.

À l’inverse des établissements sous contrats ou publics, les établissements privés indépendants ne sont pas systématiquement destinataires des consignes et guides de procédure existants en cas de suspicion de danger. Ils peuvent donc ignorer les manières efficaces de signaler cette situation, ce qui peut être lourd de conséquence pour l’enfant exposé. Parce que chaque enfant a droit à ce que la République lui garantisse le même niveau de protection sans discrimination au regard du statut de son établissement scolaire ou de sa classe, nous demandons à ce que les établissements scolaires indépendants soient systématiquement destinataires des communications de l’Éducation nationale, du Ministère de la Justice ou de tout autre entité compétente en matière de prévention ou de signalement de violences scolaires. (demande n°4)

Certains établissements privés indépendants ont été destinataires en avril dernier d’un courrier du recteur accompagné d’un texte non signé, de nature juridique indéterminée, émanant de la sous-direction de la sécurité et des valeurs de la République/ Bureau de la veille, de l’alerte et de l’analyse les invitant à utiliser l’application “Faits établissements”, au même titre que les établissements publics et sous contrat, tout en précisant que cela “ne remplace pas les signalements aux autorités compétentes, notamment au procureur de la République (article 40 du Code de procédure pénale, cellule de recueil d’informations préoccupantes)”. Vous conviendrez que cette nouveauté accroît la charge administrative pesant sur les écoles indépendantes sans pour autant leur donner une procédure claire, lisible et opérationnelle. Or l’importance de l’enjeu l’exige. Par ailleurs, il n’est pas indiqué quel soutien opérationnel ou quel type de réponse le rectorat apportera au directeur transmettant cette information sensible pour traiter le problème dans des délais aussi resserrés que possible. Nous demandons que l’utilisation de cette transmission d’information soit clarifiée pour qu’elle serve à autre chose qu’à alimenter des statistiques. Les écoles ont besoin de savoir dans quel cas elles doivent opter pour la procédure d’information préoccupante. Par ailleurs, l’article 40 ne s’appliquant qu’aux agents publics, il semble inopportun de citer cette procédure dans un courrier destiné aux écoles privées indépendantes. Cela crée une confusion inutile. (demande n°5)

III. Contrôle

Le contrôle des établissements privé indépendants est nécessaire et bienvenu, pour s’assurer de la sécurité des enfants ainsi que de la réalité de l’instruction qu’ils reçoivent, que ce soit dans les espaces d’enseignement, de détente, d’étude, de restauration ou d’hébergement.

Tel que prévu par l’article L442-2 du Code de l’éducation, le contrôle porte sur la vérification :

  • 1ᵉ : de l’absence de risque pour l’ordre public, la santé physique ou morale des mineurs ;
  • 2ᵉ : de la conformité de l’enseignement à l’objet de l’instruction obligatoire, qui doit permettre une acquisition progressive du socle commun de connaissance, de compétence et de culture ;
  • 3ᵉ : de l’absence de manquement aux obligations de contrôle de l’obligation scolaire et d’assiduité des élèves ;
  • 4ᵉ : de l’absence de manquement aux interdictions de diriger un établissement, ou de vacance de la fonction de directeur ;
  • 5ᵉ : de l’absence de manquement aux obligations administratives : déclaration en cas de changements, déclaration de l’ensemble du personnel, transmission des documents financiers sur demande de certaines autorités de l’Etat.

Forte de ses 20 ans d’expérience, notre association constate que ces inspections sont parfaitement acceptées dans leur principe par les écoles indépendantes mais qu’elles suscitent des crispations inutiles faute d’être toujours réalisées de manière respectueuse et rigoureuse. Notre association a édité des guides pour préparer les écoles à ces inspections et organise chaque année des formations des créateurs d’école comme des directeurs ou enseignants en poste qui le leur demandent pour leur permettre de bien connaître et respecter ce cadre juridique indispensable. Publié le 6 mars 2023, le dernier guide que nous avons publié à ce propose est accessible via Amazon et nous vous en joignons deux exemplaires papier pour votre parfaite information.

Les contrôles portent notamment sur le respect des obligations administratives, des normes de sécurité dans les conditions d’accueil ou de l’obligation scolaire.

Un certain nombre de points mériteraient d’être améliorés. Sur l’absence de manquement à l’interdiction de diriger, le représentant légal ne dispose pas des moyens lui permettant de s’en assurer, l’extrait de casier judiciaire B3 demandé ne comportant pas cette information-là (cf. supra). De plus, le contrôle de l’administration porte essentiellement sur l’absence de vacance de la fonction de directeur, mais la disponibilité du directeur est régulièrement appréciée de manière exagérément restrictive par les rectorats, qui demandent souvent une présence à temps plein dans les locaux de l’école. Cela n’est ni réaliste (au regard de la pénurie généralisée des directeurs comme des enseignants qui conduit fatalement à des cumuls de fonction, sur différents sites géographiques, dans bien des écoles) ni légal puisqu’aucun fondement légal ou jurisprudentiel n’en dispose ainsi. Notons bien de surcroît qu’il s’agit bien souvent d’écoles à effectifs très réduits.

Nous demandons que le directeur ou la directrice d’établissement soit laissé libre du temps qu’il passe sur site, et qu’il puisse nommer un directeur ou une directrice déléguée pour le suppléer, qui soit également pleinement reconnu par l’administration. (demande n°6)

Le contrôle des écoles indépendantes comporte un élément important mais trop subjectif dans sa mise en oeuvre, qui est celui de la “conformité à l’enseignement obligatoire”. Ce point donne lieu à des mises en demeure qui semblent contraires à la liberté pédagogique et qui, par leur caractère imprévisible, nuit à la sécurité juridique du secteur. Les écoles privées indépendantes disposent d’une liberté pédagogique à valeur constitutionnelle, dont elles souhaitent faire bénéficier leurs élèves. Il n’est pas rare que les inspecteurs, déstabilisés par des pratiques différentes de celles auxquelles ils sont habitués et peu au fait de la liberté de ces écoles, jugent les méthodes pédagogiques au lieu des résultats. Nous demandons donc que des inspecteurs soient formés au respect de la liberté pédagogique et éducative (demande n°7) afin d’être en mesure d’accepter de nouvelles pratiques pédagogiques ou des pratiques classiques abandonnées à l’école publique et d’en juger la qualité en se fondant sur les acquisitions des élèves et sur leur progression individuelle.

Les écoles hors contrat sont assez souvent créées pour répondre aux besoins éducatifs spécifiques voire aux handicaps lourds de certains enfants. Les niveaux académiques constatés peuvent donc s’éloigner sensiblement du niveau moyen d’un élève moyen scolarisé dans l’Education nationale. Dernièrement, nombreuses sont les classes ou écoles entières qui se sont créées pour répondre aux besoins d’enfants en situation de handicap, de phobie scolaire, de maladie, de harcèlement, de troubles psychologiques ou encore d’enfants à haut potentiel. La variété des écoles est présentée, statistiques à l’appui, sur l’Observatoire de la liberté d’enseignement, tenu par Créer son école. Créer son école demande à ce que ces singularités soient bien prises en compte lors du contrôle de ces établissements, et de l’examen de la progression individuelle des élèves. (demande n°8)

À l’occasion des contrôles, des dérives ont malheureusement été constatées, de la part d’inspecteurs qui se croient parfois autorisés à fouiller dans les affaires personnelles des enseignants, les sacs à main par exemple ou les cartables des élèves sans leur demander leur autorisation. Il n’est pas rare non plus, que les enfants soient interrogés seuls par les inspecteurs, pour leur poser des questions sur leur vie sexuelle ou le vote de leurs parents (!). De telles dérives, signalées par Créer son école à l’Inspection générale en son temps, alimentent une défiance à l’égard des inspecteurs dont tous pourraient utilement se dispenser. Les écoles ont droit à bénéficier de la neutralité des inspecteurs et même de leur bienveillance de principe. (demande n°9)

Créer son école demande que cessent ces dérives, grâce à des instructions claires et une formation systématique des inspecteurs des écoles privées indépendantes, formations auxquelles Créer son école propose de collaborer pour une démarche renforcée et participative. (demande n°10)

L’information des inspecteurs pourrait utilement porter sur :
– La liberté pédagogique des établissements indépendants (programmes, supports, méthode, horaires etc.) : le seul cadre étant le respect du socle commun en fin de période d’instruction obligatoire
– L’interdiction d’interroger un enfant seul, sauf exception dûment motivée, la procédure d’inspection ne s’inscrivant pas dans un cadre pénal
– L’absence d’obligation de disponibilité à plein temps et sur site du directeur
– Le contrôle effectif de la capacité d’exercer du personnel.

Les écoles indépendantes ont le souhait de travailler en bonne intelligence avec l’Education nationale ou les autres instances publiques que le législateur aura missionnées pour faire bénéficier à l’ensemble de la communauté de leur dynamisme et de leur capacité d’innovation.

Elles s’inscrivent dans le paysage éducatif pour répondre aux souhaits de parents toujours plus nombreux et aux besoins parfois non pris en charge, notamment pour les enfants porteurs de handicaps. Il s’avère pourtant que lorsque des parents démunis faute de place dans une structure adaptée publique ou sous contrat, se tournent vers une école privée indépendante, les accompagnements auxquels ils ont droit, notamment les AESH, ne sont plus pris en charge. Nous demandons à ce qu’il soit mis fin à cette injustice pour les familles qui méritent d’être autant soutenues que celles qui ont obtenu une place correspondant à leur besoin dans une école publique. Les familles d’enfants porteurs de handicaps devraient aussi pouvoir bénéficier du même choix éducatif que les autres. (demande n°11)

Anne Coffinier,
Présidente de Créer son école

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