La liberté d’enseignement en France

1. Les bases juridiques de la liberté d’enseignement en droit français


a. La liberté d’enseignement a de solides fondements législatifs

Les grandes lois de la liberté d’enseignement en droit français sont :
– la loi Falloux, du 15 mars 1850, sur l’enseignement secondaire ;
– la loi Goblet, du 30 octobre 1886, sur l’enseignement primaire, adoptée un demi-siècle après la loi Guizot qui l’instituait ;
– la loi Dupanloup, du 12 juillet 1875, sur l’enseignement supérieur ;
– la loi Astier, du 25 juillet 1919, sur l’enseignement technique ;
– et la loi Debré n° 59-1557, du 31 décembre 1959.

Selon l’article 1er de la loi Debré du 31 décembre 1959, “l’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts”. Ce principe est repris actuellement à l’article L. 151-1 du Code de l’éducation.

L’État est garant de la liberté d’enseignement et du droit à l’éducation.

Cette expression apparaît pour la première fois en droit français à l’article 1er de la loi d’orientation sur l’éducation n° 89-486 du 10 juillet 1989 : “Le droit à l’éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté.”

b. La liberté d’enseignement repose également sur un fondement constitutionnel

Aux termes du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946[1], la Nation doit garantir l’égal accès de l’enfant à l’instruction. L’égalité d’accès doit donc être assurée par l’État ; c’est une exigence constitutionnelle[2].

“Mais instruction obligatoire ne veut pas dire scolarisation obligatoire. L’État est tenu d’offrir un enseignement public (tout en organisant la liberté scolaire), l’enfant doit être instruit, mais le choix du type d’instruction demeure entier[3].”

En outre, la liberté de l’enseignement est un principe fondamental reconnu par les lois de la République[4].

c. La jurisprudence a renforcé la liberté d’enseignement

Le Conseil d’État déclare que “le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille[5]“.

D’après le Conseil constitutionnel, la liberté de l’enseignement “constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958” (Cons. const. 26 janvier 2017, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, n° 2016-745 DC).

Dans les établissements sous contrat d’association avec l’État, les maîtres doivent respecter le “caractère propre” des établissements (loi Guermeur de 1977, article 1er). La reconnaissance du caractère propre des établissements privés assure la liberté de choix par le pluralisme ainsi créé (Cons. const. 18 janvier 1985, Loi Chevènement, n° 84-185 DC).

2. La liberté d’enseignement bénéficie d’un haut niveau de garantie en droit international et européen


a. Des textes engagés pour la liberté d’enseignement…

Sur le plan international, la France s’est engagée “à respecter la liberté des parents (…) de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics” (art. 13-3, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté le 16 décembre 1966).

On peut également citer l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[6] : “Toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue. Ce droit comporte la faculté de suivre gratuitement l’enseignement obligatoire. La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice.”

La question est le plus souvent abordée sous l’angle de la liberté de conscience ou de la liberté religieuse imposant à l’État de respecter “le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses ou philosophiques” (art. 2 du protocole additionnel n° 1 à la Conv. EDH du 20 mai 1952). L’État doit “sauvegarder la possibilité d’un pluralisme éducatif, essentielle à la préservation d’une ‘société démocratique’ telle que la conçoit la Convention” (CEDH 5 février 1990, Graeme c/ Royaume-Uni : DR, 64. 158).

Le protocole additionnel[7] à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales prévoit, en son article 2, que “Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.”

Pour autant, le juge de la Cour européenne des droits de l’homme a précisé que les États n’étaient pas tenus de financer les écoles libres ou d’agir positivement pour les rendre accessibles financièrement. Cela se déduirait de la formulation négative de l’article ; les États ne reconnaîtraient pas un droit à l’instruction qui les obligerait à les organiser à leurs frais ou à les subventionner[8].

Cet article prévoit, in fine, moins un droit à l’instruction qu’une interdiction de refuser ce droit à qui que ce soit.

Ajoutons que l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948[9] ainsi que l’article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme[10] (conventions auxquelles la France est partie), prévoient, pour les parents, un droit à l’instruction ; cette liberté fondamentale est donc à la fois constitutionnelle et conventionnelle.

D’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les parents ont un droit général à l’éducation et à la transmission de “leurs croyances, coutumes et autres valeurs[11].

Toutefois, le droit à l’instruction n’implique donc pas la liberté de pouvoir instruire sans contrôle dans l’école à la maison[12] ou dans les établissements privés[13].

b. … Mais soumis à la libre appréciation des États

Cependant, pour la Cour européenne des droits de l’homme, les questions de liberté d’enseignement et de liberté de conscience sont laissées à la libre appréciation des États, qui peuvent adapter ces principes à leurs réalités nationales. Dans de nombreux arrêts, la CEDH a estimé que les États jouissent d’une marge d’appréciation. L’étendue de cette marge d’appréciation varie selon les circonstances, les domaines et le contexte ; l’un des facteurs est la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États parties. Et, en matière d’éducation, tous les systèmes juridiques des États contractants ne se ressemblent pas – par exemple, l’Allemagne a mis une réserve d’interprétation à l’article 2 du protocole additionnel cité plus haut.

Ces instruments conventionnels rédigés et entérinés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont inspirés de la conscience tirée de l’histoire récente qu’il est nécessaire de protéger les libertés éducatives de la famille et la société civile des agissements de l’État.

3. Les composantes de la liberté d’enseignement


a. La liberté de choisir un établissement privé

Il convient de noter que ce choix n’existe que pour ceux qui ont les moyens financiers de scolariser leurs enfants dans une école privé payante, à condition en outre qu’il en existe une qui soit géographiquement accessible et qui ait des places disponibles pour les accueillir.

Dans certains États, la liberté est plus effective en ce sens que l’État prend en charge financièrement de manière équivalente la scolarisation des enfants en école privée ou en école publique. En France, il a décidé de mobiliser l’impôt payé par tous pour ne financer que les écoles publiques en laissant les parents ayant opté pour une école privée en assumer le coût (en totalité pour le hors-contrat et en partie pour le sous-contrat). Pourtant, ces parents sont aussi des contribuables.

La liberté de choix de l’établissement, en l’état actuel, ne peut être que de choisir entre un établissement public et privé. Le respect de la liberté éducative des parents implique la possibilité de choisir l’école privée[14].

Les établissements privés peuvent être confessionnels ou laïcs ; dans ce dernier cas ils peuvent par exemple mettre en place une méthode pédagogique particulière (Montessori, Steiner…) ou faire des choix linguistiques (écoles Diwan en Bretagne par exemple). La reconnaissance du caractère propre permet ce pluralisme[15]. Le choix du privé n’a pas à être argumenté. On ne demande pas aux parents de se justifier (pas vis-à-vis du ministère ni du rectorat). Ces justifications ne sont demandées que par les chefs d’établissements privés qui se renseignent, et peuvent ainsi trier les dossiers qu’ils reçoivent en cas de liste d’attente. Encore n’ont-ils pas le droit de refuser un dossier sur la base de la confession d’un enfant, par exemple.

b. La liberté de créer un établissement

Les particuliers peuvent ouvrir tant des établissements d’enseignement à distance que des écoles maternelles, des facultés privées, etc. Cette liberté est également un aspect de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie. L’État contrôle l’ouverture de l’établissement puis son fonctionnement, tout au long de son existence. Le contrôle de l’État se fait tant sur des considérations d’ordre public que sur la dimension pédagogique. Au-delà de l’établissement en lui-même, l’État veille aux compétences et à la moralité (casier vierge) de la personne qui crée et/ou dirige l’établissement privé.

Elle permet aussi aux directeurs d’établissements sous contrat avec l’État d’ouvrir en leur sein des classes ou des sections hors contrat.

c. Un choix contraint en France, avec la carte scolaire obligatoire

Les élèves sont en principe répartis administrativement entre les écoles, les collèges et les lycées publics en fonction de la sectorisation qui détermine la carte scolaire mise en place depuis 1963 par la réforme Fouchet pour les collèges, puis en 1965 pour les lycées.

Toutefois, la carte scolaire a été assouplie. Il est impossible de demander une dérogation pour faire étudier son enfant dans une autre école publique que celle du secteur, mais le processus est long et incertain. Dans le public, la seule justification (autre que le handicap) pour obtenir une dérogation est “un parcours scolaire particulier” : sport-études, musique, langues rares, spécialités techniques demandant des équipements particuliers… Aucun autre motif (social, idéologique… ne peut être avancé). Des considérations pratiques liées au lieu de travail des parents peuvent être admises s’agissant du primaire. Notons, en outre, qu’en cas de contentieux devant les juridictions administratives, si l’administration rejette une demande de dérogation à la carte scolaire, le juge peut contraindre l’administration à accéder à la demande des parents si la justification apportée au refus n’est pas suffisante (l’atteinte de la capacité d’accueil dans la zone de desserte est un motif valable de refus). Il revient évidemment à l’administration d’apporter la preuve de l’atteinte de la capacité d’accueil. Se borner à indiquer que le potentiel de l’établissement ne permet plus de recevoir d’autres élèves, sans apporter de preuves factuelles, est un refus illégal[16].

Voir la documentation officielle sur le fonctionnement de la carte scolaire dans le second degré :
https://www.education.gouv.fr/le-fonctionnement-de-la-carte-scolaire-dans-le-second-degre-11555

La sectorisation n’a pas été assouplie en collège. Elle l’a été au lycée, avec la proposition dans certaines zones denses de 3 lycées “de secteur” dans lesquels peut se faire l’affectation. Mais ce n’est pas la famille qui choisit, elle émet juste des vœux. Cet assouplissement tout relatif ne vaut que dans les très grandes villes, dans lesquelles on peut avoir plusieurs lycées dans un secteur un peu élargi. En campagne ou dans les villes moyennes, la question ne se pose pas.

Lorsque votre enfant est scolarisé sur une école ou un collège de mauvais niveau académique ou présentant de faibles garanties en termes de sécurité physique, on peut considérer que le système de sectorisation scolaire obligatoire vous condamne en quelque sorte à un “échec scolaire programmé” et à des conditions d’étude défavorables (agressions, mauvaises influences, racket, harcèlement). Il existe certaines possibilités, dans les quartiers REP +, de s’extraire de ces conditions d’étude si l’on peut être sélectionné pour étudier dans les internats d’excellence/internats de la réussite. Il s’agit là hélas d une planche de salut disponible pour une petite minorité d’élèves.

d. La liberté d’instruire en famille son enfant très fortement restreinte depuis 2021

L’instruction en famille était possible sur simple déclaration jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 21 août 2021. Elle concernait 72 000 élèves. Elle est désormais interdite par l’article 49 de cette loi sauf dans les 4 cas suivants pour lesquels il est possible de demander une autorisation à titre dérogatoire :

  • État de santé de l’enfant ou handicap ;
  • Pratique d’activités sportives ou artistiques intensives ;
  • Itinérance ou éloignement géographique d’une école ;
  • Situation propre à l’enfant.

Cette nouvelle loi est vivement controversée par les personnes attachées à la possibilité de faire l’école à la maison. En France, en effet, l’école n’a jamais été obligatoire. C’est l’instruction qui l’était. Les lois Jules Ferry de 1882 elles-mêmes consacraient le droit à faire l’école à domicile comme une évidence. De plus, le maintien d’un pluralisme éducatif vivace (école privée ou publique, mais aussi instruction à domicile…) est de l’intérêt de l’école dans son ensemble: “Plus qu’un sous produit de l’école, les enfants sans écoles permettent de mieux la comprendre et de l’améliorer. S’en priver n’est pas forcément bon pour l’école”, affirmait François Jarraud, du Café pédagogique (9 février 2022, Observatoire des zones prioritaires).

L’administration a donné une interprétation particulièrement restrictive au 4e type de dérogation (situation propre à l’enfant). De nombreux contentieux ont été formés, qui ont donné au niveau des tribunaux administratifs des décisions divergentes. Les décrets d’application de la loi du 21 août 2021 ont été attaqués par de nombreuses associations dont LED’A. Le Conseil d’État a rendu le 13 décembre 2022 une décision qui réduit drastiquement les droits des familles et renforce ceux de l’administration.

Pour ce 4e cas, le Conseil d’État a considéré que c’est le rectorat qui jugerait si l’IEF est conforme ou pas aux besoins de l’enfant. Il n’est même pas prévu que la famille soit consultée, pas plus que l’élève concerné. Le rectorat aura en effet à rechercher “au vu de la situation de l’enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour lui de son instruction, d’une part dans un établissement ou école d’enseignement, d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande et, à l’issue de cet examen, de retenir la forme d’instruction la plus conforme à son intérêt.”
Notons que cette décision du Conseil d’État semble avoir fait peu de cas de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision d’août 2021.

Le Conseil d’État confirme enfin que tout élève inscrit dans un établissement d’enseignement à distance est soumis au régime d’instruction en famille. Par ailleurs, le délai pour déposer un recours administratif préalable à l’encontre d’un refus d’autorisation est fixé à 15 jours. Il n’est pas possible de demander en cours d’année l’instruction en famille (sauf accord gracieux du recteur). Cette décision rend quasi impossible la déscolarisation rapide d’enfants harcelés, phobiques ou suicidaires.

e. La liberté pédagogique des professeurs

La liberté d’enseignement comprend aussi la liberté pédagogique des professeurs, laquelle est plus ou moins étendue selon le niveau d’enseignement :

  • Au primaire : 

En théorie, tant que les programmes et les textes sont respectés, le professeur est libre de ses choix de manuels de supports, d’outils. Dans la pratique, les inspecteurs et les conseillers pédagogiques exercent une pression très forte sur les professeurs, qui n’osent que rarement choisir une méthode et des supports pédagogiques qui n’auraient pas l’aval de leur hiérarchie. Cette pression va jusqu’à la sanction lors des inspections, sans que jamais ce motif ne soit clairement assumé dans les rapports, ce qui provoque depuis des années l’ire des syndicats.

L’article 48 de la loi du 25 avril 2005 (dite Loi Fillon) insère dans le Code de l’éducation l’article L. 912-1-1 qui dispose ceci : “La liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et instructions du ministre chargé de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres du corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté.”

Si la liberté pédagogique de l’enseignement de primaire est depuis lors reconnue, on voit néanmoins qu’elle est soigneusement encadrée pour ne pas dire corsetée.

Le syndicat SUD éducation a noté qu’”en tant que cadre A de la fonction publique, chaque enseignant devrait être considéré comme concepteur et non comme simple exécutant, il ne devrait s’exercer aucune pression sur sa liberté pédagogique : organisation des contrôles ou examens blancs, progression, critères d’évaluation des élèves…”

  • Au collège et lycée :

Les enseignants des établissements du second degré jouissent d’une “liberté pédagogique” beaucoup plus encadrée que celle des universitaires puisqu’elle s’exerce non seulement dans le respect des programmes de l’Éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement, mais aussi en suivant les instructions du ministre et sous le contrôle des membres des corps d’inspection (art. L. 912-1-1 du Code de l’éducation).

Avec la réforme du baccalauréat, une nouvelle contrainte est venue s’ajouter, qui est liée à la fragmentation de l’examen. Les E3C, épreuves de baccalauréat se passant en 3 sessions, en première et en terminale, imposent à tous les enseignants des progressions communes, calquées sur le rythme des examens. Les élèves étant évalués tous les 3 ou 4 mois, lors de sessions d’examens dont les dates sont fixées par les rectorats, tous les professeurs doivent aligner leur calendrier sur celui-ci et ne sont donc plus libres d’aborder les notions du programme dans l’ordre qui leur paraissait le plus pertinent. C’est une restriction significative de leur liberté pédagogique.

Dans le même esprit, la réforme du lycée a été l’occasion d’un resserrage très précis des programmes, par exemple dans des disciplines auparavant plutôt libres, comme le français ou les langues, vivantes ou anciennes. Dans les classes à examen, aucune latitude réelle n’est laissée à l’enseignant pour s’écarter du programme. C’est d’ailleurs vrai dans le public, le sous-contrat ou le hors-contrat. L’examen est devenu si contraignant dans sa forme qu’il réduit à peu de choses la liberté pédagogique des professeurs.

De plus la lourdeur des effectifs laisse souvent peu de place à de réelles originalités pédagogiques. La nouvelle réforme a en effet supprimé la notion de “classe”, remplacée par celle de “division”, le nombre minimal d’élèves requis pour la formation administrative d’une division étant 35.

La situation en collège est quelque peu différente. Avec trois années scolaires pleines sans examen, le collège pourrait être un espace de réelle liberté pédagogique pour les enseignants, pour peu qu’ils veuillent l’investir. Dans la réalité, une vraie autocensure s’opère, sous l’influence des inspecteurs qui sont bien plus présents depuis quelques années, et fort peu de professeurs osent sortir des rails (programmes et méthodes pédagogiques promues par le ministère, par le biais du site Eduscol), hors des établissements ouvertement expérimentaux. Ils sont d’ailleurs soumis à une politique d’établissement, sur l’élaboration de laquelle ils n’ont aucune influence.

En outre, les maîtres de l’enseignement privé sous contrat doivent respecter le caractère propre de l’établissement sans que leur liberté de conscience en soit pour autant limitée[17] (équilibre délicat à atteindre).

  • Dans le supérieur (université et classes préparatoires)

Fonctionnaires ou agents publics, les enseignants de l’Éducation nationale ont un statut protecteur. Toutefois, l’université emploie un assez grand nombre de chargés de cours, qui ont un statut différent de celui des enseignants recrutés par concours.

Le Conseil constitutionnel s’est référé à la liberté d’expression qui découle du droit à la libre communication des pensées et des opinions garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789 pour consacrer le principe d’indépendance des professeurs comme celle des enseignants-chercheurs, principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. const. 20 janvier 1984, Libertés universitaires, n° 83-165 DC ; Cons. const. 6 août 2010, n° 2010-20/21 QPC). L’expression d’”indépendance des enseignants-chercheurs” est une reprise moderne de la libertas academica.


La liberté pédagogique des professeurs pose en outre de multiples questions, en termes de pédagogies pratiquées, de formation et de recrutement, et du choix des sujets comme des supports de cours.

  • La question de l’autorité hiérarchique en termes de pédagogie 

Dans un établissement public, le chef d’établissement n’a officiellement aucun pouvoir sur la pédagogie des enseignants, qu’il n’est pas habilité à contrôler. Seul le corps des inspecteurs a autorité en cette matière. Mais dans la pratique, les décisions prises par le chef d’établissement dans le cadre de la gestion de l’établissement ont de lourdes répercussions sur la liberté pédagogique des enseignants : existence de bulletins trimestriels avec des coefficients ou sans coefficients, avec une moyenne générale ou sans moyenne générale (tout cela ayant une répercussion sur les modes d’évaluation choisis par l’enseignant), existence de DST (devoirs sur table) récurrents, qui obligent à émettre des sujets communs pour un niveau donné, et qui contraignent donc les enseignants d’une même discipline à adopter une progression commune, tant sur le plan des contenus que des types d’exercices pratiqués, dédoublage ou non des classes en demi-groupes, regroupement d’élèves de niveaux différents en un groupe unique (en langues, vivantes ou anciennes, par exemple, ou en arts plastiques)… Toutes ces décisions d’ordre structurel et qui sont prises par la direction, de façon généralement unilatérale, conditionnent les possibilités qui s’offrent à l’enseignant sur le plan pédagogique.

Dans les établissements sous contrat, le directeur a théoriquement une autorité à la fois administrative et pédagogique sur le professeur[18]. Mais cette autorité pédagogique reste théorique et est rarement assumée par les directeurs, qui ne prennent généralement pas le risque d’entrer en conflit avec leurs professeurs pour des questions pédagogiques.

Que ce soit dans le public ou le privé sous contrat, la pédagogie des professeurs est surveillée par le corps des Inspecteurs (IA-IPR), dont la fonction est de veiller au respect des instructions ministérielles. Les inspections académiques sont rattachées aux rectorats ; ce sont donc des organes locaux, et de grandes disparités existent selon les territoires, allant jusqu’à des contradictions.

Les fonctions des inspecteurs ont été réformées sous l’instigation de Jean-Michel Blanquer. L’ancienne “inspection” est devenue un “rendez-vous de carrière”, au cours duquel l’évaluation de la pédagogie a été presque supprimée au profit d’une discussion autour de la carrière de l’enseignant et de ses projets. Beaucoup d’enseignants n’ont pas encore parfaitement perçu le changement et vivent ce “rendez-vous” comme une réelle “inspection”, avec tout ce que le terme implique, alors que tel n’est théoriquement plus le cas.

Les enseignants des CPGE (classes préparatoires) sont quant à eux sous l’autorité de l’Inspection générale, qui est un corps national et non plus académique. Dans le hors contrat, le directeur a toute autorité, administrative comme pédagogique, sur ses enseignants, qui relèvent du droit privé. Comme la spécificité de nombre d’écoles hors contrat provient justement de leurs orientations pédagogiques, le directeur est le garant de la cohérence de son établissement.

  • La question du niveau de formation ou des modalités de recrutement des enseignants

Pour instruire en famille, aucun niveau de diplôme n’est requis. Des contrôles réguliers sont opérés par l’administration pour vérifier le niveau d’instruction des enfants. L’incapacité éventuelle des parents à enseigner à leurs enfants se voit sanctionnée par une injonction par le directeur des services académiques à les scolariser sous 15 jours dans un établissement scolaire, après deux visites consécutives ayant donné des résultats négatifs.

Pour enseigner en établissement privé hors contrat, un niveau minimum de bac+2 est imposé à l’ensemble des enseignants, de la maternelle au bac, en vertu de l’article R. 913‑6 du Code de l’éducation, premier alinéa. En pratique, dans le supérieur, le niveau de diplôme ou de concours est bien plus élevé.

Pour enseigner comme contractuel dans l’enseignement privé sous contrat, il convient d’avoir un diplôme de niveau bac+3 (dans n’importe quelle matière pour le primaire et, pour le secondaire, en théorie, dans une matière concordante avec la matière à enseigner), ou de justifier d’une expérience professionnelle en rapport avec la discipline enseignée. Ces contractuels ont dû faire valider leur candidature par une commission, et être accrédités par le rectorat, ce qui ne va pas sans poser régulièrement un certain nombre de problèmes.

Pour être titulaire dans l’enseignement général, il faut avoir le CAFEP, le CAER (concours interne, ouvert à des contractuels en poste) ou l’agrégation. Il y a entre 8 % et 28 % des effectifs des écoles privées sous contrat qui sont contractuels en 2019 en France. Pour l’enseignement technique privé : être titulaire d’un bac+3 ou +2 ou d’un diplôme technique (CAP, BEP, BP, bac pro ou BTS) ou d’une expérience professionnelle significative. Ou bien passer un concours (CAFEP-CAPET ou CAER-CAPET).

Dans l’Éducation nationale, les titulaires sont des fonctionnaires ayant un Master 2 et ayant réussi le concours du CRPE pour le primaire, ou du CAPES ou de l’agrégation pour le secondaire. Mais les contractuels sont de plus en plus nombreux : environ 4 000 déjà dans l’enseignement primaire et 40 000 dans le secondaire, avec une croissance moyenne ces dernières années de 2.5 % par an (voir à ce sujet : http://www.slate.fr/story/181626/education-nationale-profs-non-titulaires-contrat-statut-fonctionnaire-enseignement). Ces contractuels doivent avoir un diplôme de niveau bac+3 voire, depuis le décret du 29 août 2016 et en cas de difficultés de recrutement, bac+2. Les contractuels en poste depuis 3 ans peuvent passer un concours dit “interne” et devenir ainsi titulaires. Les statuts administratifs des contractuels et des titulaires sont nettement différents, et leurs conditions de travail peuvent parfois l’être aussi (sans compter leurs salaires) : en cas de suppression de poste, ce sera toujours le contractuel qui sera sacrifié, et non le titulaire, lors des répartitions des heures et des classes, chaque année, les titulaires sont prioritaires, etc.

On note enfin que le passage pour un titulaire du public au privé est complexe, et que le passage du privé au public impossible sans repasser le concours. L’État assure donc le plus possible une étanchéité entre corps professoral de l’école publique et corps professoral de l’école privée. Toutefois, le recours croissant aux contractuels constitue une source de porosité évidente.

Si un professeur ayant passé le CAPES veut travailler dans le privé sous contrat, il doit demander son détachement. Ce détachement ne s’obtient que selon le bon vouloir du recteur, qui n’a pas à justifier sa décision. Certaines stratégies existent pour obtenir ce détachement, mais leur efficacité n’est jamais assurée. Les enseignants “du public” travaillant dans le privé sont donc rarissimes. Le cas des agrégés est un peu différent. Il n’existe pas de concours distincts pour le public et le privé, comme pour le CAPES/CAFEP. Le candidat, lors de sa réception dans le corps des agrégés, devra simplement opter pour le public ou le privé, en sachant que ce choix sera irréversible s’il opte pour le privé. S’il opte pour le public, il pourra toujours essayer ensuite d’obtenir un détachement.

Un enseignant du public reste toute sa vie “du public” : même détaché sur un poste fixe dans l’enseignement sous contrat, il restera géré par la section “enseignement public” du rectorat. Il pourra demander sa réinsertion dans le public à n’importe quel moment. Il ne sera pas soumis à la même réglementation que ses collègues titulaires du CAFEP (caisse de Sécurité sociale, cotisations, retraites, gestion de son salaire…).

Un titulaire du CAPES, du CAFEP, du CAER ou de l’agrégation qui souhaiterait travailler dans un établissement hors contrat doit auparavant obtenir une disponibilité – ce qui relève du miracle vu qu’il ne peut alors faire valoir que des “convenances personnelles”, ce type de demande n’entrant pas dans le champ des “disponibilités de droit” – ou démissionner de son poste, ce qui entraîne pour lui la perte de son concours, et donc l’obligation de le repasser s’il souhaite revenir ensuite dans un établissement public ou sous contrat.

  • La question de la liberté de formation des enseignants

Outre la question du niveau de diplôme ou de l’exigence ou pas d’un recrutement par concours, se pose la question de la liberté des modalités et des lieux de formation des enseignants. Les professeurs de l’Éducation nationale sont tenus de passer par les fourches caudines des Instituts supérieurs du professorat et de l’éducation (ISPE, ex-IUFM), lieu de transmission autoritaire des méthodes officielles de l’Éducation nationale.

Les professeurs de l’enseignement sous contrat ont leurs propres centres de formation (ISFEC pour l’enseignement catholique), Centre André et Rina Neher pour les écoles juives. Les ISFEC semblent assez fortement tributaires des conceptions pédagogiques ayant cours dans les ISPE. Les contractuels réussissant le concours interne (CAPES interne ou CAER) ont une obligation de stage l’année qui suit l’obtention du concours. Ces stages se font dans des structures parallèles à celles des formations initiales, mais totalement coordonnées, et alignées sur le plan idéologique et pédagogique.

Les enseignants des écoles hors contrat se forment en formation initiale et continue dans une pluralité de lieux de formation : Créer son école, Eurécole, Centre André et Rina Neher, ISMM (Institut supérieur Maria Montessori), ILFM, Apprendre Montessori, Centre de formation Steiner… Le secteur hors contrat est indubitablement celui dans lequel on trouve la plus grande variété de formations, et le plus large choix de modèles pédagogiques.

  • La question du choix des manuels

Il n’y a pas d’imprimatur ou de label de l’Éducation nationale. C’est un produit éditorial comme un autre même s’il est souvent préfacé par des inspecteurs de l’éducation nationale.

En théorie, les enseignants sont libres de choisir leurs manuels ou de n’en pas choisir. En pratique, dans le public et le sous-contrat, ils doivent pour des raisons économiques se concerter entre collègues pour faire des choix communs, ce qui conduit mécaniquement à un certain profil de manuels (des manuels riches en iconographie, consensuels sur le fond, signés ou préfacés par des inspecteurs ou autorités bien vues par l’Éducation nationale), et surtout diffusés par de grandes maisons d’édition, qui peuvent assurer l’approvisionnement sur plusieurs années. Toutefois, si l’école est de petite taille, et qu’il a l’accord de sa direction, l’enseignant peut opter pour l’achat de manuels anciens d’occasion. Là encore, la liberté existe, mais elle est rarement saisie, pour des raisons pragmatiques et logistiques.

En décembre 2020, le ministre Blanquer a défrayé la chronique en expérimentant un manuel de lecture officiel de l’Éducation nationale dans plusieurs académies, ce qui rompt avec la liberté de choix des manuels et a été dénoncé comme une tentative de “caporalisation” des enseignants (voir à ce sujet : http://demain-lecole.over-blog.com/2020/11/blanquer-teste-un-manuel-de-lecture-officiel-vers-une-caporalisation-des-enseignants.html).

La réforme du lycée a réintroduit pour le baccalauréat de français une “question de grammaire”. Pour la première fois au lycée, le ministère a prévu l’édition d’une “Grammaire Unique”, élaborée par ses services, qui aurait vocation à devenir le manuel unique de référence pour toutes les classes de collège et de lycée. Ce manuel, qui devait sortir en septembre 2019, est toujours attendu. C’est un précédent unique dans l’enseignement secondaire de manuel uniformément imposé par le ministère à l’ensemble d’une discipline dans le secondaire.

  • La question du choix des sujets d’étude et des supports de cours

Se sont multipliées au fil du temps les circulaires qui encadrent et corsètent de plus en plus la liberté professionnelle des enseignants (i.e. la liberté de choisir ce qu’ils enseignent, comment, avec quels supports, etc.). Les œuvres imposées, en français par exemple, prennent le pas de manière croissante sur le programme libre. Inversement, lorsque l’enseignant est pris à partie ou dénoncé anonymement par des parents et/ou des élèves ou des tiers en raison de ce qu’il a enseigné ou est supposé avoir enseigné, il n’est pas assuré de pouvoir compter sur un appui dépourvu d’ambiguïté de la part de son proviseur ou de son inspecteur, alors même qu’il s’est efforcé en toute bonne foi d’appliquer les préconisations ministérielles.

Certaines matières donnent lieu à une forte auto-censure des enseignants de peur d’avoir des problèmes soit avec leur propre administration, soit avec les élèves ou les parents d’élèves, soit encore avec des tiers.


NOTES ET RÉFÉRENCES JURIDIQUES

[1] Qui a valeur constitutionnelle, Conseil constitutionnel décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.

[2] Conseil constitutionnel décision n° 2001-450 DC du 11 juill. 2001.

[3] Jean-Pierre Camby, Tanneguy Larzul et Jean-Eric Schoettl, « Instruction obligatoire : pour un principe fondamental reconnu par les lois de la République », AJDA, 2018 p. 2486.

[4] Conseil constitutionnel, 23 nov. 1977, n° 77-87 DC, Liberté d’enseignement et de conscience.

[5] CE 19 juill. 2017, n° 406150, Association Les enfants d’abord.

[6] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12016P/TXT&from=EN

[7] Protocole n° 11 du 11 mai 1994.

[8] CEDH 23 juill. 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », n° 1474/62 § 3.

[9] Article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. »

[10] Article 2 du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

[11] CEDH 25 févr. 1982, n° 7511/76, Campbell et Cosans.

[12] Comm. EDH 6 mars 1984, Famille H. c/ Royaume-Uni, n° 10233/83.

[13] Comm. EDH 6 mars 1987, Fondation des écoles chrétiennes Ingrid-Jordebo c/ Suède, n° 11533/85.

[14] CEDH 25 mai 2000, Alonso et Merino c/ Espagne, n° 51188/99.

[15] Cons. const. 18 janv. 1985, Loi Chevènement, n° 84-185 DC.

[16] TA Amiens, 15 déc. 1998, Haag, req. 98258.

[17] Cour de cassation, Assemblée plénière, du 19 mai 1978, 76-41.211, publié au bulletin.

[18] Dans les établissements sous contrat, l’enseignement « est dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public. Il est confié, en accord avec la direction de l’établissement, soit à des maîtres de l’enseignement public, soit à des maîtres liés à l’Etat par contrat » (art. L. 442-5 du Code de l’éducation).

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