“École privée : sortir de l’hypocrisie” – une tribune d’Anne Coffinier dans Le Point

LE POINT – TRIBUNE

École privée : sortir de l’hypocrisie

Anne Coffinier, présidente de Créer son école, évoque l’urgence de “relever l’école publique” et l’hypocrisie quant au choix de l’enseignement privé.

Àpeine arrivée à son poste, la toute nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castéra se voit reprocher de scolariser ses fils à l’école Stanislas, célèbre établissement privé du 6e arrondissement de Paris. Il faut dire que la ministre n’y est pas allée de main morte dans la justification de ses choix. L’identité de l’établissement (qui vient de faire l’objet d’un rapport de l’inspection après un article assassin de Mediapart) est tout sauf anodine.

Les débuts de Pap Ndiaye avaient été perturbés par le même “problème”. Il s’agissait dans son cas de l’école Alsacienne, cette institution d’élite qui forma… Gabriel Attal. Quant à Jean-Michel Blanquer, ancien de “Stan”, n’avait-il pas lui aussi confié sa progéniture à un établissement privé, comme presque tous ses prédécesseurs ?

École publique : “quintessence de l’attachement à la République”


Pourquoi s’en offusquer et persister à voir là une trahison du peuple par les élites politiques ? Tout simplement parce qu’on fait en France de l’attachement à l’école publique la quintessence de l’attachement à la République. On se laisse même aller à faire un signe “égal” entre public et “école de la République”, ce qui revient à exclure de la République les familles qui font le choix du privé. Comme l’Église tolère les “homos honteux”, la République tolère les hommes et femmes politiques qui préfèrent l’école privée, pourvu qu’ils le cachent. Pas question pour eux d’assumer et de faire leur coming out scolaire : moins ils pratiquent l’école dite républicaine et plus ils doivent donner des gages de leur attachement à l’école publique.

Cette schizophrénie bien française conduit ceux des hommes politiques qui choisissent le privé pour leurs enfants à toujours plus d’efforts pour en freiner l’essor et en interdire l’accès aux classes populaires. Espérons que la nouvelle ministre ne tombera précisément pas dans le piège de pourfendre l’école privée pour mieux prouver sa foi inconditionnelle en l’école publique, après la polémique qui a accompagné sa prise de poste.

“En finir avec l’hypocrisie”


Nous tenons en réalité aujourd’hui l’occasion d’en finir avec l’hypocrisie. Il est évident qu’une large majorité des parents confieraient leurs enfants à l’école privée s’ils en avaient les moyens. Parce que la discipline y est meilleure, les professeurs moins absents, les parents plus investis parce qu’ils payent… les fréquentations choisies, les enfants fauteurs de troubles exclus de l’établissement le cas échéant, et les élèves pas assez brillants impitoyablement exclus des écoles dites d’élite.

Autrement dit, si les parents préfèrent le privé aujourd’hui, c’est parce que l’exigence et l’ambition qu’on y trouve sont annonciatrices de la dureté du monde professionnel à laquelle devrait précisément préparer l’école. Les élites cherchent aussi à doter leurs enfants d’un utile réseau social. Le plus jeune ministre de la Ve République n’a-t-il pas fait “l’Alsa” comme les enfants de Pap Ndiaye ? Si la droite opte plutôt pour Stanislas, Saint-Jean de Passy ou Franklin, les partisans d’Emmanuel Macron préfèrent en effet l’école Alsacienne ou Jeannine-Manuel. Dans tous les cas, c’est le privé qui gagne et qui fait gagner. A fortiori à l’heure où l’école publique a décroché. L’humiliation de la France dans les tests Pisa en apporte la preuve, année après année. Et le président de la République lui-même l’a reconnu dans son discours du 25 août 2022 devant les recteurs : “l’école de la République n’est plus à la hauteur”.

L’urgence de relever l’école publique


Le véritable scandale n’est donc pas qu’une ministre, fût-elle chargée de l’Éducation, scolarise ses enfants dans le privé. C’est plutôt que l’on abandonne les pauvres, les immigrés que l’on prétend “intégrer” et les non-initiés à une école publique dont le président lui-même constate qu’elle ne fonctionne plus. Relever l’école publique doit être l’urgence des urgences. Pas seulement en principe, mais en fait. En attendant les effets d’une politique qui serait enfin courageuse en la matière, la scolarisation dans des écoles non publiques est plus que légitime et doit même être encouragée. Elle devrait être financée par l’État tant qu’il n’est pas capable de fournir à la population une école publique digne de ce nom. Et partout où les évaluations repèrent une défaillance de l’école publique, les parents devraient pouvoir avoir le choix d’une alternative financée par l’État.

Qu’est-ce sinon que “l’égalité des chances” ? À quoi bon avoir constitutionnalisé le droit pour chaque enfant à l’égal accès à l’instruction ? Ce n’est pas parce que le même article 13 du préambule de la Constitution de 1946 déclare que “l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l’État”, qu’il est justifié de vilipender et de culpabiliser les parents choisissant une école privée. L’heure est décidément venue de financer le libre choix de l’école par les parents, pour qu’il cesse d’être le privilège des nantis et des initiés. Afin qu’il ne reproduise pas les inégalités sociales, on prendra soin de créer des structures gratuites aidant les parents à choisir au mieux de l’intérêt de leurs enfants.

Condorcet l’avait brillamment exposé en son temps : l’école publique a besoin d’être stimulée par une autre école, si l’on ne veut pas qu’elle se sclérose. La prophétie s’est, hélas, réalisée. À force de fausser la concurrence entre l’école publique et l’école privée, rendue artificiellement payante et en accès limité faute de places disponibles, l’école publique a été privée de cette nécessaire stimulation qui aurait pu la pousser à l’excellence. Preuve en est que, dans l’ouest de la France, où presque la moitié des enfants sont scolarisés à l’école privée, le niveau général du public est plus élevé, car il est contraint à se dépasser pour garder ses élèves.

Alors, si 2024 était la sortie de l’hypocrisie ? Si cette nouvelle année était placée sous le signe du respect de la liberté du choix de l’école par les familles ? On commencerait l’année en faisant faire un considérable bond en avant à l’égalité des chances.

Anne Coffinier,
Présidente de Créer son école

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