“Affaire Stanislas : du scandale d’une école au rallumage de la guerre scolaire” – une tribune d’Anne Coffinier dans L’Express

L’EXPRESS – TRIBUNE

Affaire Stanislas : du scandale d’une école au rallumage de la guerre scolaire

Dans le contexte de l’affaire Stanislas, la présidente de Créer son école et de la fondation Kairos pour l’innovation éducative, Anne Coffinier, rappelle qu’il est urgent de sauvegarder la liberté scolaire, “meilleure alliée de la liberté de conscience”.

Le rapport remis au ministère de l’Éducation nationale sur le collège Stanislas relève des remarques et des agissements de certains personnels qui font froid dans le dos. « Homophobie », « sexisme », « misogynie », rapport désincarné à la sexualité, dénigrement du corps… Une enquête serait ouverte au titre de l’article 40. Ces dérives doivent être étudiées et prises au sérieux – on imagine sans peine les conséquences désastreuses qu’elles peuvent avoir sur le développement et l’estime de soi de nombreux jeunes. Il ne faudrait pas pour autant qu’elles soient exploitées cyniquement par les ennemis de la liberté scolaire, pour exiger un alignement toujours plus avancé des écoles sous contrat sur les écoles publiques. Rien de tel en effet que l’émotion populaire pour faire adopter des réformes liberticides. Le timing est parfait : les syndicats de l’enseignement public réclament en ce moment-même des gages à la ministre Oudéa-Castéra pour lui permettre de se racheter de sa déclaration d’amour à l’école privée. Vu l’état des finances publiques, difficile de donner plus d’argent à l’Éducation nationale, bien qu’il soit urgent de revaloriser les enseignants, financièrement et moralement. A contrario, taper sur la liberté scolaire, ce n’est pas cher et cela ferait un tel plaisir aux ennemis de l’école libre ! Il serait toutefois affligeant d’en arriver là, autrement-dit, de rallumer la guerre scolaire.

45% des Français passent par l’école privée. Elle ne fait plus l’objet d’un choix idéologique. C’est au contraire un choix pragmatique, rarement motivé par la religion, parfois même carrément cynique. Les parents pensent tout simplement qu’un tel enseignement offre le cadre le plus propice à la réussite de leurs enfants. Ils acceptent, au passage, l’« emballage moral et religieux » de cette offre scolaire sans trop d’états d’âme. N’est-ce pas le prix à payer pour que leurs enfants obtiennent de bons résultats académiques ?

Il faut dire que le caractère confessionnel est, le plus souvent, très léger dans l’Enseignement catholique. Mgr Cattenoz a vendu ce secret de polichinelle dès 2006, en déclarant ouvertement que nombre d’établissements n’avaient de catholique que le nom. Il en va différemment de la plupart des écoles juives ou musulmanes, qui ont gardé une dimension religieuse décomplexée. Qu’il existe une poignée d’établissements « cathos » plus religieux que la moyenne ne doit pas nous induire en erreur : l’école catholique sous contrat est en pleine sécularisation. Il se trouve simplement que les établissements sous contrat jugés les meilleurs, les plus élitistes, les plus susceptibles enfin de conduire les enfants aux meilleures des grandes écoles et à les faire « réussir dans la vie » sont des établissements catholiques.

Dans l’écrasante majorité des écoles, la catéchèse est plus que légère, fixée à des horaires témoignant de sa faible importance. Elle n’est même pas notée ! Les célébrations religieuses sont rares et les absences jamais relevées, encore moins sanctionnées. En revanche, certaines évolutions sociales consacrées par le législateur ont fait ressortir le conservatisme prévalant dans certains établissements. Ainsi de la loi Taubira de 2013, qui a conduit à la réaffirmation de la position officielle de l’Eglise sur les couples de même sexe. Si la limite entre l’affirmation d’une telle position et la discrimination est parfois ténue, l’écart entre certaines évolutions sociales et l’absence d’évolution des positions doctrinales de l’Église sur les mœurs est un fait incontestable.

Si la loi interdit à toute école sous contrat de rendre obligatoire la formation religieuse (L 141-3 du Code de l’éducation), le consensus social considère plutôt que la liberté de conscience est respectée à l’école privée sous contrat dès lors que des enfants de différentes religions ou agnostiques y sont admis et que la pratique des sacrements n’y est pas obligatoire (confession, communion, confirmation…). Les parents acceptent (sauf exception) que leur enfant assiste au cours de religion, comprenant qu’ils ont choisi une école catholique et qu’ils doivent en respecter les règles et l’identité sans avoir droit à un menu à la carte. Si les manifestations de catholicisme leur sont insupportables, ils ont tout le loisir de fréquenter l’école publique. Ces cours de religion sont perçus généralement comme contribuant à la culture générale des enfants.

La situation se complique avec l’évolution générale des mœurs et l’affirmation de plus en plus forte des droits des enfants. Plus la jurisprudence consacre les droits de ces derniers, plus le droit des parents est fragilisé. L’école doit-elle chercher à respecter la liberté de conscience des parents (qui choisissent librement et en conscience l’établissement qui leur convient) ou celle des enfants (qui ont le droit à ce que leur propre liberté de conscience ne soit pas violée) ? La difficulté vient du fait que la conscience des enfants, et même des adolescents, est précisément en cours de formation et que les séances d’éveil à la foi sont présentées comme des moyens de former leur conscience comme leur âme. Sans formation à la fois religieuse, civique et morale, l’enfant peut-il poser des actes et faire usage de sa liberté ? Mais s’il reçoit une formation religieuse ou philosophique particulière, sa conscience sera à coup sûr orientée par la réception de cet héritage, lequel pourrait contrarier des convictions personnelles naissantes. Ces questions sont éminemment délicates, et toutes les familles en ont fait l’expérience. Plus l’État édicte des lois et des règlements sur les mœurs, et plus le caractère propre de l’école rencontre des difficultés à s’exprimer, d’autant que, depuis les années 2000, la dimension moralisatrice du catholicisme a pris une place majoritaire dans l’image que renvoie cette religion en France, en particulier sous l’effet de la caricature qu’en a fait une certaine gauche.

Une école sous contrat peut organiser, hors horaires et disciplines imposés par l’Éducation nationale, des formations sur l’éducation affective, mais elle doit respecter le programme obligatoire de SVT, lequel banalise la sexualité précoce, le recours à la contraception et à l’avortement. Les écoles catholiques font presque systématiquement le grand écart entre l’affirmation de la foi de l’Église, comme le caractère sacré de la vie dès la conception, et ce qu’impose la loi : un jeune doit pouvoir recevoir de l’infirmerie scolaire la pilule du lendemain et, demain, si ce n’est pas déjà le cas, la PReP (traitement préventif du sida en cas de rapport non protégé). Que reste-t-il alors du caractère sacré de la Vie ? Les jeunes catholiques sont pris, au sein même de leur propre établissement confessionnel, dans un enchevêtrement de contradictions. Le droit reconnu à tout élève par l’Éducation nationale à se faire appeler au sein de son établissement selon l’identité de genre qu’il aura choisie et non selon son sexe accroît encore les tensions puisqu’au catéchisme, on apprend bien qu’« homme et femme, Il les créa »…

Comment ne pas être mal à l’aise face à l’absence volontaire d’articulation entre la catéchèse et les cours profanes relevant du programme de l’Éducation nationale ? Cela n’encourage-t-il pas à la dissimulation ou à… la schizophrénie ? Dans l’état actuel du droit, une école a toute latitude pour enseigner, en cours d’éveil à la foi, le récit de la Genèse comme elle l’entend, au titre de son caractère propre. L’Etat ne se mêle pas de savoir si elle en donnera une lecture fondamentaliste ou plus relativiste voire symbolique. Ces cours ne sont pas inspectés car ils sont le lieu d’expression privilégié du caractère propre. En revanche, dans le cadre du programme académique, les cours devront présenter l’état actuel de la science sur l’origine du monde et de la vie humaine. Cosmogonie contre cosmologie. Les enfants ne manquent pas de se poser des questions sur la manière dont ces deux récits pourraient bien coexister. Aucune réponse n’est organisée. A l’école publique, les professeurs diront probablement que la Genèse est un mythe qui, par bien des aspects, fait écho à d’autres mythes et récits issus d’autres religions ou cultures. A l’école privée, la réponse est tout à fait imprévisible car la majorité des professeurs ne croient pas en Dieu et n’adhèrent que du bout des lèvres au projet pédagogique et spirituel de l’établissement. C’est souvent un conférencier ou un catéchiste bénévole, dont ni la formation ni le cours ne sont réellement soumis à contrôle, qui donnera sa réponse personnelle, avec plus ou moins d’érudition et de tact.

L’affaire Stanislas peut donc nous donner enfin l’occasion de penser des sujets qui ont été jusque-là pudiquement mis sous le tapis : comment diable articule-t-on dans une école confessionnelle les cours profanes et l’exposé de la foi ? Comment articuler mieux les responsabilités éducatives des parents avec la liberté de conscience des enfants ? Comment fait-on cohabiter le respect du caractère propre avec le respect de la loi, sans parler du respect du consensus social contemporain ? Plus la jeunesse se sécularise, et plus elle accepte la supériorité du droit positif sur la loi religieuse. Mais si c’est généralement vrai des catholiques, ce n’est probablement pas le cas des autres religions présentes en France. Il y a donc des visions anthropologiques et morales différentes voire opposées qui cohabitent assez mal entre elles, sur le même territoire français. Ce n’est pas nouveau et c’est même plutôt positif pour notre pluralisme démocratique. La chanson de Michel Sardou sur « les deux écoles » de 1985 en témoigne avec talent : « J’ai fait les deux écoles et cela n’a rien changé », chante-t-il. Un discours unique sur l’origine du monde, la nature du mal et nos raisons d’espérer serait effrayant de totalitarisme. Il faut se résoudre à ce que l’on tâtonne. Le cadre laïc de nos institutions nous permet de chercher, de nous tromper et de chercher encore le visage de Dieu, de la liberté, du bien et du mal, de soi. Notre liberté de conscience est si précieuse, mais elle ne se nourrit pas de rien. Voltaire n’était-il pas élève du lycée jésuite de Louis-le-Grand ? Le petit père Combes, figure de l’anticléricalisme, n’était-il pas un ancien séminariste qui fit sa thèse sur saint Thomas d’Aquin ? Alors, en attendant d’oser prendre à bras le corps certaines questions fondamentales, il est urgent de sauvegarder la liberté scolaire, meilleure alliée, malgré tout, de la liberté de conscience et de notre bouillonnante démocratie.

Anne Coffinier,
Présidente de Créer son école

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